Ca a commencé demain... - problèmes de logique, de chronologie, d'archéologie. (suite et fin)

Publié le par la-rage-et-le-ballon.over-blog.com

Promenons-nous dans les rues de Johannesburg ou du Cap. Les supporteurs les ont déjà envahies, en chapeaux, en maillots, en drapeaux, grimés aux couleurs de leur pays et chantant à tue-tête des cris patriotiques. Les magasins, les bars, les échoppes portent haut les couleurs du monde. Les sourires et les vuvuzélas tordent les visages des passants. Ici, la Coupe du Monde a commencé depuis quelques jours. Les habitants accueillent les étrangers, le petit commerce comme le grand racket s'exercent à reconnaître leurs cibles. Les amateurs de football se rencontrent, boivent, s'échauffent. La tension monte doucement. Qu'on se prépare ou qu'on soit prêt, le Mondial est déjà là.

 

A Paris, c'est plus calme. Raison de plus pour s'y promener tranquillement. Certains bars annoncent les retransmissions, d'autres se glorifient de ne pas les proposer. Au comptoir, on radote, on bave. Levons la tête : les sponsors sont bien là. Certains magasins inventent le pari comme publicité. Tout est prêt, ici aussi.

 

Rentrons à Moscou, ville morne aux nationalistes humiliés. Certains amateurs timides et cosmopolites lisent le guide de la compétition. Pepsi affiche partout des torses de footballeurs tribalement bariolés (que vient faire Arshavine dans cette galère...? c'est dont vraiment la coupe de tout le monde...). L'équipe nationale russe n'est pas qualifiée. Elle a joué et elle a perdu. Deux fois. Contre l'ennemi historique de la Patrie, l'Allemagne, puis contre la cousine slovène. C"'était quand ? - A l'automne. - C'était quoi ? Les qualifications. Vous savez, le haut bout de l'autoflagellation française, à la main. - Ah, oui ! C'était il y a si longtemps ! Mais alors, la compétition a commencé à l'automne ?"

 

Pourquoi pas. Elle a pu commencer en décembre, lors du tirage au sort : une demi-heure d'excitation, l'attente, l'espoir et le regret dans un mini-show réglé par une montre suisse. Sponsors, dirigeants et tout le tintouin, mini-répétition en trente minutes des trente jours de compèt'. [NDLR : répétition qui eut sa répétition, naturellement.]

Mais alors elle a commencé le jour où on a su la liste définitive des équipes qualifiées ? Et pourquoi pas au premier jour des qualifications ? Ou lors de leur tirage au sort ? Ou de sa répétition ? Ou de l'élection du pays organisateur ? Ou de la décision d'attribuer ce Mondial à un pays africain ? Ou...

 

Pour les organisateurs, sans doute cela a-t-il commencé là. Pour nous, c'est déjà trop loin, nous étions alors occupés d'autre chose, l'événement s'annonçait, il n'arrivait pas encore. Les qualifications à la coupe du monde en marquent le début d'un point de vue sportif et financier : la réalité de la phase finale se dessine petit à petit pour les fédérations et leurs sponsors avec des négociations boursières qui durent un peu plus d'un an. Mais pour les supporteurs et les joueurs, elle n'est qu'un rêve. D'ailleurs, comme le disent les poètes modernes, il ne s'agit encore, sur le terrain, que de gagner son billet pour l'Afrique du Sud. L'idée d'aller y jouer au football semble farfelue : un aller simple pour le bout du monde, c'est tout ce qu'on demande.

 

Une fois ce billet acquis, les joueurs commencent à renifler la supercherie. Ce n'est pas un billet qu'ils ont gagné, mais un carnet de tickets donnant droit à l'équipement, au logement en pension complète, aux entraînement et aux matchs (comme joueurs ou spectateurs, le G.O. le leur expliquera plus tard). Or, qui dit carnet dit nombre déterminé de tickets. La compétition se dessine plus nettement : elle fera d'abord rage entre les joueurs, entre les compatriotes, car il faut être choisi ; et entre les joueurs et la nature, car il faut être bon sans se blesser ; et avec les spectateurs, car il serait bon d'être approuvé. Les joueurs font tout pour ne pas penser à la coupe du monde car c'est le meilleur moyen de passer à côté (autre moyen : ne pas y penser du tout, c'est une autre histoire). Mais tous le leur rappellent constamment. Encouragements mêlés de reproche. Pression.

 

Enfin il y a les stages, la préparation, les listes, la liste. Les matchs, les jambes ici, la tête ailleurs. On y est. Ce n'est pas encore ni le premier coup de sifflet, ni la première défaite, ni etc. C'est avant tout cela, et pourtant c'est la Coupe du Monde. On est au bord du précipice dont on ressent le souffle. Le souffle du calendrier qu'on apprend par coeur, le souffle des critiques, le souffle de l'espoir, le souffle de l'excitation, le souffle des packs de bière qu'on stocke, le souffle des amis qu'on rassemble, le souffle des journaux et des rumeurs, des infos dont on s'abreuve sans en retenir aucune. Un gouffre béant aux souffles trop nombreux.

 

Et s'il n'y avait rien, finalement ? Si le jeu était mauvais ? Comme à Noël, où on est toujours déçu ? Comme à l'an 2000, dont il parait qu'il est venu, mais on attend encore ses voitures volantes.

 

Cependant, le moment est venu...

Le moment juste avant la jeune fille désirée, chez tous les Don Juan du monde.

Le moment juste avant le cadeau espéré, chez tous les enfants du monde.

Le moment de l'espoir qu'il y ait un peu de football, au moins.

Le moment de l'espoir avant une probable déception ?

Mais l'espoir...

Publié dans Ambiance

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